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Étude commandée par le Parlement européen sur les jetons non-fongibles et la propriété intellectuelle


La commission des affaires juridiques du Parlement européen a fait paraître une étude sur les jetons non-fongibles et la propriété intellectuelle (Dr. Katharina Garbers-von Boehm, Helena Haag and Katharina Gruber for the European Parliament Committee on Legal Affairs, Intellectual Property Rights and Distributed Ledger Technology with a focus on art NFTs and tokenized art, October 2022, PE 737.709 : europarl.europa.eu). L’étude s’intéresse prioritairement à l’impact des NFTs sur le droit d’auteur et vice versa. Toutefois, cette étude comporte également informations ou arguments qui doivent retenir l’attention des propriétaires de droits de marques.

Définitions. – Les auteurs de l’étude proposent plusieurs définitions factuelles (par opposition à « définitions juridiques »), dont « jetons non-fongibles » (« non-fungible tokens » ou « NFT »), « Off-chain vs. On-chain NFTs » et « smart contracts ». Ils décrivent également le processus de « frappe » nécessaire à la création de tout NFT. Surtout, les auteurs appellent les parties prenantes (avocats, ingénieurs et entreprises) à adopter des définitions consensuelles, étape préalable essentielle à « l’acceptation et l’application de toute réglementation future » (p. 13).

Droit des marques. – Les auteurs évoquent brièvement les affaires Nike c. StockX et Hermès c. Mason Rothschild (pp. 40 et 41). Cependant, à ce jour, ces affaires n’ont donné lieu à aucune décision sur le fond. Toujours est-il qu’il est conseillé aux propriétaires de marques d’étendre la protection « à d’autres classes afin d’être protégés dans le soi-disant Metaverse » (p. 41), soit les classes 9, 41 ou 42. Les auteurs reconnaissent, toutefois, que les propriétaires de marques sont confrontés à de nouveaux défis. Ils préconisent ainsi « une approche harmonisée de la classification des actifs virtuels sous la forme de NFT » (ibid.).

Authentification et certification des biens. – Il est rappelé que les NFTs peuvent être utilisés pour « suivre et valider la vente et la propriété de biens numériques » (p. 46) et « pour vérifier l’authenticité des actifs physiques » (ibid.). L’étude présente notamment l’exemple de l’horloger Breitling qui délivre des « « passeports » basés sur la technologie NFT pour certifier l’authenticité de ses montres de luxe » (ibid.).

Contrefaçon. – Les conditions de reconnaissance de la contrefaçon ne semblent pas soulever de difficultés insurmontables. En revanche, précisent les auteurs, les caractéristiques techniques des NFTs posent des problèmes réels et sérieux du point de vue de l’exécution effective de la règle de droit qui voudrait que le contenu contrefaisant soit supprimé (not. p. 43). Cependant, les auteurs de l’étude rassurent les titulaires de droit, qui ne sont pas totalement démunis. Une solution consisterait à prévoir dans le contrat (smart contract) la possibilité pour l’émetteur d’un NFT d’ « accéder au NFT dans n’importe quel portefeuille de tout acheteur ultérieur afin de le déplacer vers un « burn wallet » » (p. 43).

Détection de la contrefaçon. – Selon les auteurs, « le plus grand défi pour les titulaires de marques et de droits d’auteur est la détection des infractions, pour lesquelles l’application de filtres d’intelligence artificielle – si possible sur une base d’autorégulation et volontaire – pourrait être utile. Sans ces outils, la détection des infractions se heurterait à de sérieux obstacles » (p. 47). Entre utilitarisme et opportunisme, la nature humaine est telle qu’à chaque progrès technique, il faut s’attendre à ce que certains les emploient à leurs profits sans bourse délier ou presque. Les titulaires de propriétés intellectuelles sont conscients des risques et des enjeux. Nombre d’entre eux adoptent et maintiennent depuis le début des années 2000 des stratégies de défense proactives consistant à détecter les atteintes à leurs droits sur Internet. L’avènement des NFTs – et du Web3 en général – ne fait qu’ajouter un front supplémentaire dans une lutte contre la contrefaçon tout aussi âpre sur le terrain que dans l’environnement numérique, vaste et tentaculaire (noms de domaine, places de marché, médias sociaux, sites de niche, app stores, dark web, etc.). Nul doute que les titulaires de droits et les fournisseurs de service de détection et de suppression de contenus contrefaisants sauront adaptés leurs stratégies et leurs outils face à cette nouvelle menace. Néanmoins, c’est fort légitimement que les titulaires de droits espèreront, d’un côté, des intermédiaires qu’ils produisent des efforts d’autorégulation réels, sérieux et concrets et, d’un autre côté, des juges qu’ils prononcent des condamnations dissuasives.

Auto-régulation. – La capacité des émetteurs de NFTs à adopter des règles protectrices de l’internaute et de la propriété intellectuelle constituera la clé de leur succès ou de leur déchéance. En cas d’échec, il appartiendra au législateur de s’emparer des questions juridiques non résolues et de mettre un terme aux abus (pp. 9, 44 et 47). Les auteurs ont sans doute raison de faire preuve d’optimisme en rappelant que de nombreuses places de marché prévoient d’ores et déjà des fonctionnalités de notification et de retrait de contenus contrefaisants. À cet égard, ils ajoutent qu’ « en ce qui concerne l’application de la loi, il est dans l’intérêt même des places de marché de NFT de prévoir des mécanismes qui empêchent l’offre de NFT contrefaisants » (p. 47), ce qui rejoint notre opinion sur la question (iptwins.com, 2022-08-30).

Droit international privé. –  Le caractère « dispersé, façon puzzle » des NFTs pose des questions de droit international privé d’une complexité inédite et redoutable. Sur le plan procédural, en cas de contrefaçon générée par l’émission d’un NFT, quelle juridiction serait compétente ? Sur le fond, la question qui se pose est celle de la loi applicable, ce qui renvoie notamment à celle de la validité des droits revendiqués ou à celle des critères établis pour la reconnaissance de l’atteinte au droit de propriété intellectuelle. Ainsi, les auteurs de l’étude s’accordent pour dire que « le principe de droit international privé de la lex rei sitae échoue » (pp. 7 et 24). Sans doute faudra-t-il donner la préférence à un critère organique/subjectif plutôt qu’au fait générateur, ce qui suppose, au préalable et en tout état de cause, l’identification de l’auteur du fait générateur.


À noter :

Dans la même veine, le gouvernement britannique a publié un appel à projet pour la constitution d’une étude sur les organisations autonaumes décentralisées (Decentralised Autonomous Organisations (DAOs)) : lawcom.gov.uk.