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Conformité à la Constitution du déréférencement de Wish.com ordonné par l’administration française


La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) scrute la conformité des biens mis en vente en France, y ccompris sur les plateformes de marché grâce à son centre de surveillance du commerce électronique. Dans le courant de l’année 2020, le service national d’enquête de la DGCCRF a mené une opération de plusieurs mois pour vérifier la conformité des biens mis en vente sur la plateforme Wish.com, exploitée par la société américaine ContextLogic. Le 30 novembre 2020, la DGCCRF avait annoncé avoir transmis au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris les conclusions de ses investigations concernant des pratiques de ContextLogic. Les pratiques constatées consistaient :

« – à alléguer de manière généralisée de fortes réductions de prix, particulièrement attractives pour les consommateurs (pouvant aller jusqu’à 90% de réduction) mais dénuées de toute réalité économique (elles sont notamment calculées sur la base de prix de référence trompeurs) ;

– à mettre en avant des produits de forte notoriété dont certains ne sont pas disponibles sur la plateforme ; et

– à proposer des produits présentant des logos et signes distinctifs s’apparentant à ceux de marques déposées notoires (notamment marques de sport, parfums prestigieux, etc.) de nature à induire en erreur les consommateurs » (economie.gouv.fr/dgccrf, 2020-11-30).

Le 15 juillet 2021, la DGCCRF avait enjoint ContextLogic de se conformer à la loi française, sur le fondement des articles L. 521-3 et suivants du Code de la consommation (issues de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière : legifrance.gouv.fr). Outre ce pouvoir d’injonction, ces dispositions confèrent également à la DGCCRF le pouvoir d’enjoindre des tiers de déréférencer l’interface concernée (article 521-3-2°-a), d’en limiter l’accès (article 521-3-2°-b), de bloquer le nom de domaine pour une durée ne pouvant excéder trois mois, voire de le transférer à l’autorité administrative en cas de persistance de l’infraction (article 521-3-2°-c). L’article L. 513-3-1 précise que « ces mesures sont mises en œuvre dans un délai, fixé par l’autorité administrative, qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures ». Faute de coopération avec les autorités françaises, ces dernières ont, le 23 novembre 2021, enjoint Google, Qwant, Microsoft et Apple de procéder au déréférencement de Wish.com sur le fondement de l’article 521-3-2°-a) du Code de la consommation.

Par la suite, ContextLogic avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris dans le but, d’une part, de faire suspendre l’exécution de la décision du 23 novembre 2021 et, d’autre part, de faire transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 521-3-1-2°a) du Code de la consommation. ContextLogic reprochait à cette disposition « de permettre à l’administration d’ordonner le déréférencement d’une interface en ligne, sans subordonner une telle mesure à l’autorisation d’un juge ni prévoir qu’elle doit être limitée dans le temps et porter sur les seuls contenus présentant un caractère manifestement illicite. Au regard des conséquences que cette mesure emporterait pour l’exploitant de l’interface et ses utilisateurs, il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’expression et de communication ainsi que de la liberté d’entreprendre » (formulation reprise dans la décision du Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 2 : conseil-constitutionnel.fr).

Par une ordonnance du 17 décembre 2021, le juge des référés avait rejeté les demandes de ContextLogic. L’affaire fut donc portée devant le Conseil d’État qui, par un arrêt du 22 juillet 2022, i) annula l’ordonnance du 17 décembre 2021en tant qu’elle avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité, ii) renvoya la QPC à ce dernier et iii) sursit à statuer sur le déréférencement jusqu’au prononcé de la décision du Conseil constitutionnel (CE, 9ème – 10ème chambres réunies, 22 juillet 2022, N° 459960 : conseil-etat.fr).

Le 21 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a décidé que l’article L. 521-3-1-2°a) du Code de la consommation est bien conforme à la Constitution.

Sur le terrain de la liberté d’expression et de communication, le juge constitutionnel a rappelé qu’en adoptant les dispositions contestées, « le législateur [avait] entendu renforcer la protection des consommateurs et assurer la loyauté des transactions commerciales en ligne », poursuivant ainsi « un objectif d’intérêt général » (Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 8 : conseil-constitutionnel.fr). Le Conseil constitutionnel a également rappelé que la mesure de déférencement répondait à des infractions punies d’une peine d’emprisonnement de deux ans au moins (Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 9 : conseil-constitutionnel.fr), ce qui est le cas, notamment, du volet pénal de la contrefaçon. En outre, les sages ont rappelé que « les dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que si l’auteur de la pratique frauduleuse constatée sur cette interface n’a pu être identifié ou s’il n’a pas déféré à une injonction de mise en conformité prise après une procédure contradictoire et qui peut être contestée devant le juge compétent » (Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 10 : conseil-constitutionnel.fr). L’article 521-3-2°-a) du Code de la consommation pourrait donc, lorsque les circonstances s’y prêtent, être employées à bon escient pour déréférencer, dans un bref délai, tout ou partie d’un site marchand proposant manifestement des contrefaçons sans que l’on puisse identifier l’auteur de cette infraction. Cependant, chacun notera l’insuffisance de la seule mesure de déréférencement compte tenu de la gravité des faits et de l’urgence qu’ils commandent. Enfin, le juge constitutionnel a également relevé que le délai de 48 heures prévu par l’article L. 521-3 suffit à l’opérateur concerné pour contester la décision de le juge (Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 11 : conseil-constitutionnel.fr).

Le Conseil constitutionnel n’a pas non plus retoqué les dispositions de l’article L. 521-3-1-2°a) pour violation de la liberté d’entreprendre. Il a rappelé, à cet égard, que les dispositions contestées « n’ont pas pour effet d’empêcher les exploitants de ces interfaces d’exercer leurs activités commerciales, leurs adresses demeurant directement accessibles en ligne » (Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, QPC n° 2022-1016, para. 15 : conseil-constitutionnel.fr). A contrario, le Conseil constitutionnel fait ainsi surgir un doute quant à constitutionnalité de l’article 521-3-2°c) consistant à supprimer ou transférer le nom de domaine à l’autorité compétente. En revanche, le seul blocage du nom de domaine pour une durée ne pouvant excéder trois mois, également prévu par l’article 521-3-2°c), apporte une dose de proportionnalité répondant aux exigences des principes constitutionnels.

Il faut retenir que la DGCCRF dispose donc du pouvoir d’enjoindre des prestataires de services de déréférencer un opérateur Internet qui ne produit pas les efforts requis pour se conformer aux dispositions législatives françaises, en particulier en matière de produits dangereux et de contrefaçons. Les sites réfractaires pourraient également se voir infliger un mesure de blocage sur leurs noms de domaine, en toute légitimité.