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La bataille pour le juteux .WALLET

 


Dans le métaverse promis à tous, le wallet est la clé. Ce portefeuille crypté repose sur la technologie blockchain, ce qui devrait assurer un haut niveau de sécurité (à condition de ne pas laisser trainer son mot de passe). Détenir un tel portefeuille est indispensable dans le métaverse car son propriétaire est appelé à y stocker ni plus ni moins que son patrimoine numérique : ses données, ses oeuvres, sa cryptomonnaie ou ses jetons non fongibles (ou Non-Fungible Tokens, « NFTs »). Le détenteur d’un wallet peut également utiliser ce dernier pour créer et distribuer des « biens numériques ». On peut supposer qu’une personne (physique ou morale) souhaitant interagir dans le métaverse devra impérativement disposer d’un wallet. Les multiples fonctions essentielles du portefeuille crypté conduisent à le placer au coeur du système financier du métaverse. L’assiette est gargantuesque ! D’où l’intérêt incommensurable pour le domaine de premier niveau .WALLET et la bataille engagée pour son contrôle ou plutôt… leur contrôle.

Tel est bien le noeud de discorde qui s’est tendu et serré entre deux jeunes pousses du métaverse, Unstoppable Domains et Handshake via un intermédiaire de cette dernière appelé « Gateway » (Unstoppable Domains v. Gateway Registry, James Stevens, and Does 1-100, USDC, Delaware). Ces deux-là se battent becs et ongles, la première pour conserver son monopole sur la distribution des noms de domaine alternatifs .WALLET, la seconde dans l’espoir de glaner quelques parts de marché ou davantage. Et tous les autres, spectateurs envieux (« bon sang mais c’est bien sûr, .WALLET, pourquoi n’y ais-je pas pensé avant ? ») qui scrutent attentivement l’issue du litige dans l’espoir de créer, eux aussi, un .WALLET alternatif.

Une chronologie succincte des faits permet de mieux appréhender le problème qui se pose au juge.



Il ressort des échanges, délétères, que d’un côté comme de l’autre, c’est l‘investissement que l’on entend protéger. Gateway s’appuie, d’une part, sur l’absence de marque valable « .WALLET » ou « WALLET » et , d’autre part, sur la liberté du commerce et de l’industrie. Unstoppable Domains place au coeur de sa rhétorique l’atteinte à la marque non enregistrée (common law) « .WALLET » et la perte de la confiance qu’elle avait gagnée auprès de ses clients et partenaires, confiance brisée par l’apparition d’un autre .WALLET.

En effet, la valeur des noms de domaine .WALLET créés chez Unstoppable Domains est intrinsèquement dépréciée. La confusion est telle que certains s’interrogent sur la nécessité de répéter l’opération : créer un second <nom.wallet>, identique au premier (<nom.wallet>) pour s’en assurer l’exclusivité. Du jamais vu. La confusion est totale.

L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) a bien des défauts, dont sa lourdeur administrative qui en fait une institution d’une lenteur en parfaite opposition avec les préceptes de son temps. Néanmoins, l’ICANN était parvenue à épargner aux internautes de tels imbroglios. Techniquement, dans le Domain Name System, deux domaines de premier niveau (ou top-level domains, « TLDs ») ne peuvent coexister. Dès lors, la mise à disposition des nouveaux generic top-level domains (ou « nTLDs ») fut accompagnée d’une batterie de procédures extrajudiciaires visant, in fine, à désigner celui qui devait obtenir le contrôle du nTLD convoité eu égard à des règles préétablies (v. not. E. Gillet, « Nouveaux gTLDs : procédures de règlement des litiges »). Rien de tel dans le système de nommage relié aux blockchains ou, sur le plan juridique, tout reste à construire. N’enterrons pas l’ICANN, les entrepreneurs du Web3 ont beaucoup à apprendre de cette institution.

L’une des premières questions qui vient effectivement à l’esprit est la suivante : deux « blockchain TLDs » (ou « extensions alternatives ») identiques peuvent-elles coexister ? Techniquement, il ne semble pas y avoir d’obstacles. Juridiquement, dans l’hypothèse où un juge retiendrait la théorie du monopole, quel en serait le fondement ? Une marque préalable à la création du TLD par le second entrant (premier arrivé, premier servi) ? C’est ce qu’espère Unstoppable Domains. La prime à la marque primaire est un mécanisme universel et efficace. Il devrait donc s’imposer sans obstacle. Cependant, l’opérateur économique brandissant une marque pour exclure un concurrent ne peut, en principe, obtenir satisfaction que si la marque en question est valable, c’est-à-dire, entre autres exigences, ni descriptive, ni générique. Il en va du respect de la liberté du commerce et de l’industrie. Le monopole reconnu au propriétaire de la marque n’est qu’une exception au principe de liberté. Cela dit, vu l’arrêt de la Cour suprême étasunienne dans l’affaire booking.com, il faut s’attendre à tout ! À l’inverse, dans l’hypothèse où un juge préfèrerait la théorie de la coexistence permettant des doublons, voire des triplons, des opérateurs de blockchain domains se sentiraient pousser des ailes et proposeraient sans tarder non seulement des .WALLET mais aussi des .COM alternatifs, créés sur des blockchains. Bien que conforme à la liberté du commerce et de l’industrie, la préférence pour la théorie de la coexistence amènerait immanquablement à se poser la question suivante : est-ce bien souhaitable ? Or, lorsqu’on en vient à se poser cette question, c’est qu’on n’est pas loin de s’en remettre au législateur. Certes, mais quel législateur ? Légiférer au niveau interne alors que le métaverse se développe jour après jour serait totalement stérile. Le recours aux instruments bilatéraux, complexe et fastidieux, nécessiterait des décennies. Quant au traité multilatéral, tout aussi complexe et fastidieux, aurait au moins le mérite de proposer une réponse plus rapide et plus homogène. Une autre solution consisterait, pour les émetteurs de noms de domaine alternatifs i) à se rassembler autour d’un code d’éthique et ii) à collaborer avec l’ICANN afin de déterminer, de manière contractuelle, ce qui est souhaitable et ce qui ne l’est pas. Imbroglio !