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dumbledore.com : Warner Bros. a le bourdon

Parmi les marques qui souffrent de leur coexistence avec des noms de domaine, les marques faibles se distinguent, et tout particulièrement les marques acronymes (voir, par ex., “Marques et noms de domaine : le supplice des marques acronymes, iptwins.com, 2019-04-14“) et les marques génériques (pour un exemple typique, v. “Thesun.com : “le soleil brille pour tout le monde”, 2019-05-11). Les décisions extra-judiciaires sont innombrables. L’une d’entre elles mérite qu’on lui prête attention en raison de ses motivations, d’une grande justesse.

Warner Bros. Entertainment Inc. a échoué à récupérer le nom de domaine dumbledore.com dans le cadre d’une procédure menée sous les auspices du National Arbitration Forum. Warner Bros. faisait valoir que ce nom de domaine était identique à ses marques “Dumbledore”, dérivées de la série de romans Harry Potter, écrite par J.K. Rowling, et faisant référence au personnage d’Albus Dumbledore, le mentor du personnage principal, Harry Potter (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

Il ressort de la décision que le nom de domaine dumbledore.com a été créé en 2004 et que son titulaire, M. A., l’aurait acquis en 2019.

Dans sa plainte, Warner Bros. démontrait la notoriété de la série, et incidemment celle de la marque “Dumbledore”, par un ensemble de chiffres concernant la série Harry Potter. Le procédé visait à garantir que personne n’ignore Dumbledore.

Comme Warner Bros. a indiqué n’avoir jamais autorisé M. A. à utiliser sa marque “Dumbledore”, Il appartenait au défendeur de démontrer qu’il détenait un droit ou un intérêt légitime sur le mot “dumbledore”. À cette fin, le défendeur a construit son argumentation autour de deux piliers : d’une part, le caractère générique du nom “dumbledore” et, d’autre part, l’existence d’un site Internet en cours de création.

Notoriété c. généricité

Le mot “dumbledore” provient de l’anglais ancien et désigne le “bourdon”. Il s’agit donc d’un mot générique. Les marques composées d’un mot générique (c’est-à-dire, le plus souvent, les mots qui composent les dictionnaires) sont considérées comme des marques faibles. Cette condition de faiblesse est clairement illustrée dans la décision commentée :

“Cependant, lorsque le différend porte sur un mot du dictionnaire qui peut vraisemblablement être utilisé légalement, la connaissance que le défendeur peut avoir du plaignant est sans conséquence. La connaissance préalable ne devient un facteur critique que lorsque le nom de domaine ne peut avoir d’autre signification que la marque du plaignant. Ce n’est pas le cas dans ce différend. Voir DK Company Vejle A / S c.Cody Favre, C4 Squared , D2019-2676 (OMPI 17 décembre 2019) (<shopcasualfriday.com>). Il est peu probable que le défendeur ne connaissait pas Albus Dumbledore, mais qu’il le connaisse ou non n’est pas important pour déterminer les droits des parties ou le fait que le nom de domaine ait été enregistré de mauvaise foi” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

Le tiers décideur a ajouté, en faisant référence à la décision NAF FA1009001344653, Halo Innovations, Inc. c. Name Administration Inc. (BVI), November 3, 2010 :

“le ‘nom de domaine est entièrement composé de termes communs qui ont de nombreuses significations ; l’enregistrement et l’utilisation d’un nom de domaine comprenant de tels termes communs ne se font pas nécessairement de mauvaise foi’. Ici, le nom de domaine litigieux est destiné à une utilisation conforme à sa signification” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

Vendre ≠ mauvaise foi

Il est entendu que l’offre de vente d’un nom de domaine peut être considérée comme un signe de mauvaise foi. Cependant, en présence d’un nom de domaine composé d’un mot générique, l’examen d’une telle offre doit être considéré avec la plus grande vigilance. En l’espèce, les parties sont en désaccord, y compris sur le point de savoir si le défendeur a formulé une offre de vente. Peu importe, affirme le tiers décideur, car en tout état de cause, ce n’est pas le défendeur qui a fait le premier pas. En outre, ajoute-t-il, “[l]orsque le nom de domaine contesté est un mot du dictionnaire, l’intimé a parfaitement le droit de répondre à une demande d’achat sans tomber sous le coup des principes UDRP, à moins qu’il n’utilise le nom de domaine de mauvaise foi et qu’il existe une preuve en ce sens” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020). Autrement dit, selon le panéliste, l’initiative dans la prise de contact peut peser dans la qualification de bonne foi ou de mauvaise foi. Il convient d’appeler l’attention sur le fait que cette solution n’est rationnelle que si sa portée se limite aux marques faibles.

Droits et intérêt légitimes : domainer et liberté du commerce

Warner Bros. affirmait que M. A. “semblait avoir pour activité d’acheter plusieurs domaines“. Sur ce point, la décision rappelle que cette pratique n’a rien d’illégal en soi :

“En tout état de cause, ces activités sont routinières, légitimes et autorisées sur Internet et ne peuvent être censurées” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

L’activité dite de domainer consiste à réserver des noms de domaine dans le but d’en tirer profit par la cession, la licence ou tout autre moyen approprié. Par principe, cette activité est non seulement légitime, mais également protégée par la liberté de commerce. Cependant, elle peut être considérée comme illégale dans plusieurs circonstances, notamment lorsqu’un nom de domaine est similaire ou identique à une marque (cybersquatting). Afin de constituer leur portefeuille, les domainers peuvent enregistrer ou acquérir toutes sortes de noms de domaine et, en particulier, des mots génériques. Prohiber, interdire ou limiter l’enregistrement ou l’acquisition de tels noms de domaine serait contraire à la liberté de commerce. C’est bien ce qui ressort de la décision commentée :

“Le nom de domaine litigieux est un mot du dictionnaire qui, par hasard, correspond à l’un des mots de la marque déposée du plaignant. Le plaignant n’a pas de marque déposée pour le mot ‘dumbledore’ seul. Il se peut que les aficionados imprégnés de la tradition d’Harry Potter associent instantanément  ‘dumbledore’ au personnage fictif, et peut-être au propriétaire de la marque, mais cela ne suffit pas à accorder au plaignant un monopole sur un mot qui a une signification au-delà de celle véhiculée par la marque. Un nom de domaine de mot de dictionnaire qui correspond à un mot dans une marque n’est pas présumé abusif des droits de tiers. L’utilisation seule déterminera l’issue des droits. S’il s’avère que le défendeur utilise le nom de domaine de mauvaise foi, il soutiendra l’enregistrement de mauvaise foi, mais il ne peut y avoir d’enregistrement abusif sans preuve d’utilisation de mauvaise foi” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

Les domainers ont une parfaite connaissance du marché des noms de domaine. Ils se positionnent, en principe, en concurrents directs et légitimes des propriétaires de marques faibles. 

Droits et intérêts légitimes : “site en construction”

L’article 4.c.i) des principes directeurs UDRP propose aux défendeurs la possibilité de démontrer leurs droits et intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux en fournissant la preuve d’une utilisation du nom de domaine qui soit antérieure au litige ou, à tout le moins, l’existence d’actes préparatoires sérieux à cet effet.

En l’espèce, le défendeur assurait qu’il n’avait pu ajouter du contenu au site dumbledore.com par manque de temps. À ce titre, la chronologie mérite d’être rappelée :

– “août ou septembre 2019” (selon les termes de la décision) : acquisition du nom de domaine ; et

– 4 février 2020 : dépôt de la plainte UDRP.

Autrement dit, la période qui s’est écoulée entre l’acquisition du nom de domaine et le dépôt de la plainte est de cinq ou six mois. Dans ce laps de temps, M. A., selon ses propres dires, n’a pas eu le temps d’ajouter du contenu au site dumbledore.com. Peut-être envisage-t-il d’écrire une encyclopédie exhaustive sur les bourdons ou bien de lever des fonds pour la sauvegarde des abeilles. Après tout, de tels sites mériteraient  bien d’exister via un nom de domaine comme dumbledore.com, capable d’offrir une retentissement certain à une cause souvent jugée salvatrice. Ou peut-être M. A. n’a-t-il rien d’un philanthrope et qu’il a acquis dumbledore.com en caressant l’espoir de le revendre en réalisant un bénéfice substantiel. Toujours est-il que M. A. affirmait qu’il avait réalisé quelques investissements pour la construction d’un site Internet. D’où la question suivante : les préparatifs de M. A. pouvaient-ils être qualifiés de “sérieux” au sens de l’article 4.c.i) ? Tout au plus, M. A. a démontré qu’il avait réalisé un investissement sous la forme d’un abonnement WordPress. S’agit-il d’un acte préparatoire sérieux ? Ou d’acte acte préparatoire opportun ? Malheureusement, la décision ne révèle pas la date de cet abonnement. Dans l’hypothèse où elle serait postérieure à la date à laquelle Warner Bros. a initié le contact avec M. A., cela serait de nature à démontrer que ce dernier aurait réalisé cet investissement dans la précipitation et sans réel intérêt pour les bourdons. En revanche, si la date d’achat coïncide peu ou prou avec celle de l’acquisition du nom de domaine, cela pourrait révéler une intention sérieuse de construire un site. Quoiqu’il en soit, pour le tiers décideur, tout est question de circonstances, rappelant ainsi la solution adoptée dans la décision D2004-0939 (WIPO, D2004-0939, Voir DigiPoll Ltd. c. Raj Kumar, February 3, 2005). Surtout, la condition de marque faible rejaillit sur l’intensité de la preuve que doit apporter la partie adverse :

“‘La barre est plus basse avec les noms de domaine constitués de mots du dictionnaire’ (Gullivers Travel Associates c. Gullivers Travel / Gulliver’s Travel Services, Gullivers Travel Agency et Metin Altun / GTA, D2004-0741 (OMPI, 16 décembre 2004)”.

En d’autres termes, en présence d’une marque faible, des préparatifs superficiels suffisent pour mettre en évidence un droit ou intérêt légitime et mettre en échec la demande de transfert. Et le panéliste d’ajouter :

“le défendeur déclare qu’il a l’intention d’utiliser <dumbledore.com> et décrit le contenu du site Web dans sa réponse, mais même s’il n’a pas donné suite à cette intention, la loi ne décrète pas la déchéance en l’absence de preuve d’utilisation de mauvaise foi.

Cela est particulièrement vrai lorsque le contenu du site Web n’a aucun rapport avec les marques déposées du plaignant. Si le réservataire d’un nom de domaine veut instruire le monde sur les bourdons, rien ne justifie qu’il ne soit pas autorisé à le faire sans être menacé de confiscation” (NAF, FA2002001881913, Warner Bros. Entertainment Inc. v. Karl Allberg, February 19, 2020).

En réalité, le débat sur l’existence ou l’inexistence d’actes préparatoires à un site Internet pèse bien peu en présence d’une marque faible.

Il découle de ce qui précède qu’une question supplémentaire mériterait d’être posée : combien de temps faut-il laisser au réservataire pour construire (ou ne pas construire) un site Internet ? Il ressort d’innombrables décisions extra-judiciaires que plus le temps passe, moins le poids de l’argument “site en construction” est solide. C’est implacable. Dès lors, faut-il donner du temps et, pendant ce temps, surveiller l’utilisation qui est faite du nom de domaine ? Il convient de distinguer plusieurs hypothèses. Nous en retiendrons deux. En premier lieu, si la marque fortement distinctive, la réponse est généralement négative. Dans la plupart des cas, il convient et il suffit d’agir promptement. En second lieu, si la marque est faible, le temps peut être le complice de son propriétaire. Dans ce cas, une surveillance s’impose pour guetter  la survenance de tout indice susceptible de démontrer la mauvaise foi du réservataire du nom de domaine concerné. En l’occurrence, le temps qui s’était écoulé entre l’acquisition du nom de domaine et le dépôt de la plainte était de cinq ou six mois et, en réalité, le site a été nourri de manière très superficielle après le dépôt de la plainte. Le nom de domaine portant sur un mot générique, peut-être eut-il fallu se mettre à l’affût en espérant que le contenu du site s’orientât vers l’univers de Harry Potter.

Conclusion : stratégie

Les propriétaires de marques composées d’un mot générique doivent s’imposer une stratégie visant à constituer un portefeuille de noms de domaine solide. Il existe de nombreuses solutions en ce sens. Nous serons heureux de vous accompagner.