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Noms de domaine génériques : un défi pour le droit de la concurrence

A l’origine, le nom de domaine était un simple raccourci technique, masquant l’adresse IP de chaque site internet dans le but d’en rendre l’accès simple et rapide. Des noms aisément mémorisables sont venus remplacer des séries de chiffres peu commodes. Désormais, les noms de domaine sont de véritables signes identifiants, distinctifs au même titre que les marques.

Pourtant, rapprocher le régime applicable aux noms de domaine à celui des marques est malaisé. Un nom de domaine est une ressource purement technique à laquelle il est difficilement pensable d’appliquer un droit de propriété, fut-elle intellectuelle ou industrielle. D’une part, son titulaire ne dispose que d’un droit d’usage de ce nom et son prestataire le gère plus qu’il ne le détient. D’autre part, la volatilité des noms de domaine et leur caractère technique en font des signes hybrides que le droit en général a bien du mal à appréhender.

Depuis plusieurs années pourtant, les conflits entre marques et noms de domaine existent. Des centres ont été créés pour les arbitrer et des procédures spécifiques mises en place. Désormais, tout titulaire de nom de domaine est soumis à l’autorité de ces centres. Si les résultats paraissent satisfaisants – en moyenne 90% des plaintes sont jugées fondées – certains cas présentent des difficultés particulières, notamment lorsque le nom de domaine est un terme générique.

Les second-level domains génériques

Un nom de domaine est composé d’un nom de second niveau (second-level domain ou SLD) et d’un nom de premier niveau (top-level domain ou TLD), séparés par un point. Par exemple le nom <iptwins.com> a pour second niveau « iptwins » et pour premier niveau « com ».

Jusqu’à récemment, les TLD étaient peu nombreux. Hormis les codes nationaux tels que le .fr, seuls 22 TLD existaient. Ce sont les classiques .com, .org, .net, etc. Les conflits portaient donc principalement sur le SLD, le TLD étant alors considéré comme une ressource technique qu’il convient de ne pas prendre en compte, sauf dans des hypothèses particulières. Deux cas de figure peuvent se présenter lorsque le SLD est générique.

Lorsque le SLD générique reprend une marque, le problème est classique et les procédures mises en place ont largement vocation à s’appliquer. Par exemple, si un conflit porte sur le nom de domaine <vente-privee.com> , la marque VENTE PRIVEE – largement connue au demeurant – est aisément identifiable, bien que le SLD « vente-privee » soit générique.

La problématique est toute autre lorsque le nom n’est pas protégé par un droit de marque, car l’atteinte peut dans l’absolu être subie par un secteur tout entier et non uniquement par une entreprise en particulier. Puisqu’il ne peut être réservé que par une seule personne à la fois en application de l’adage « premier arrivé, seul servi », un nom du type <telephone.fr> pourrait en effet porter atteinte à tous les acteurs de la chaine de fabrication et de distribution, ainsi qu’aux consommateurs. Seul son titulaire peut profiter d’un tel nom générique, notamment en tirant parti du référencement par les moteurs de recherche.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation interdit à certaines professions l’usage de termes génériques dans leurs noms de domaine pour ne pas distordre la concurrence naturelle. La Cour a ainsi jugé que l’utilisation des noms de domaine <avocat-divorce.com> et <avocat-paris.org> profère à son titulaire un avantage concurrentiel disproportionné en créant « une situation aboutissant à une appropriation d’un domaine d’activité que se partage l’ensemble de la profession et entretenant la confusion dans l’esprit du public, mis directement en relation avec le site personnel de Mme X… par l’usage de mots-clés aussi généraux ». De tels noms de domaines sont, pour ces raisons, interdits par le Règlement Intérieur National applicable à l’ensemble de la profession. »

Le nom de domaine générique <mariagesencorse.com> a en outre été jugé comme non protégé par les règles de la concurrence par la Cour d’appel de Bastia. Pour pouvoir bénéficier d’une protection au titre de la concurrence déloyale, encore fallait-il que le nom de domaine soit distinctif, à savoir ni générique ni descriptif des produits qui désignent.

Or les pratiques commerciales déloyales sont réprimandées, d’abord lorsqu’elles touchent plusieurs entreprises d’un secteur, et encore davantage lorsque la distorsion est telle que c’est le public de consommateurs qui est perturbé. Les pratiques commerciales trompeuses interdites par le Code de la consommation trouvent donc à s’appliquer aux noms de domaine génériques.

C’est une des raisons pour lesquelles les registres gérant des nouvelles extensions de noms de domaine ont mis en place des listes « premium ». Ces noms, à forte valeur marketing, sont bloqués dans un premier temps par les registres dans un seul objectif de concurrence saine entre les différents acteurs d’un même secteur. Il est important de noter enfin que puisque ces noms sont génériques, aucune procédure extrajudiciaire ne leur est applicable.

Les top-level domains génériques

Avec l’arrivée sur le marché des nouvelles extensions de noms de domaine (new TLDs), ce sont plus de 1 300 extensions qui vont à terme coexister au côté des traditionnels .com ou .net. Parmi ces nouvelles extensions, l’on retrouve des marques (.loreal, .axa …), des villes (.paris, .berlin…), mais également des extensions génériques (.company, .shop…).

Or toute personne pouvait candidater à l’attribution d’une nouvelle extension, sous réserve de l’acceptation de son dossier. Ainsi de nombreuses entreprises privées ont déposé des dossiers pour se voir déléguer la gestion d’extensions génériques. Ainsi la société Amazon a-t-elle déposé près de 100 dossiers de candidature pour plusieurs extensions, dont les .store, .book, ou encore .music. Leur attribution à Amazon n’est pas problématique tant que l’enregistrement de noms de domaine dans ces extensions est ouvert au public.

Plusieurs entreprises ont toutefois indiqué qu’elles utiliseraient les extensions génériques qui leur sont attribuées de manière fermée, s’arrogeant ainsi un avantage démesuré face à la concurrence, puisque c’est toute une partie de l’espace de nommage d’internet qui leur est ainsi réservée. De nombreuses voix se sont élevées contre ces « closed generics ». Microsoft dénonce ainsi un « avantage injustifié dans la navigation directe et la recherche en ligne », ces entreprises étant « directement associées au type de produits ou services qu’elles offrent ».

Par exemple le groupe Richemont, spécialisé dans l’industrie du luxe et qui détient des marques telles que Cartier ou Montblanc, a candidaté pour l’attribution du .jewelry (« joaillerie »). En cas d’utilisation fermée par le groupe de cette extension, les entraves à la concurrence seront flagrantes. L’on comprend mieux avec une telle illustration les inquiétudes des grands acteurs de l’internet qui estiment que la concurrence va en pâtir. Selon eux, les consommateurs devraient avoir le choix, et non pas être cantonnés aux produits ou services d’un seul groupe.

Le débat est plus saisissant encore lorsque l’atteinte à la concurrence porte sur des secteurs réglementés tels que la santé. L’attribution du .vin a longuement fait débat au sein de la communauté de l’internet et le .health (« santé »), s’il est utilisé de manière fermée, portera une atteinte manifeste aux intérêts des consommateurs.

Pour autant, l’on comprend le souhait des entreprises d’utiliser des extensions génériques de manière fermée à l’aune des investissements matériels, humains et financiers réalisés. Quoi de plus naturel que de vouloir réussir plus que les concurrents ? Les libertés d’entreprise et de la concurrence sont essentielles, notamment avec l’internationalisation des échanges. Mais elles doivent nécessairement être enserrées dans des limites, celles de la concurrence saine et de la sécurité des consommateurs. Alors que l’ICANN a promis une nouvelle vague de new gTLDs dans les années à venir, le visage d’internet est en train d’être profondément bouleversé.